Publié : 11 décembre 2023
Mise à jour : 11 décembre 2023 à 19h19
Sébastien Ayreault, romancier et poète français, vit avec sa famille à Atlanta depuis 2005. L’artiste travaille comme bon à tout faire dans le cinéma depuis 2008. Pêle-mêle, chaque mois, il nous jettera ses ressentis, ses observations, ses joies mais aussi ses déceptions du rêve américain. Il offrira sa vision brutale de l’existence aux États-Unis.
Écrire. Mettre des mots à la suite des autres. Des mots qui forment des phrases. Des phrases qui forment des idées. Des idées qui forment, déforment des histoires, qui forment, déforment des trajectoires. Écrire. Construire, construire un texte, comme construire une maison où les gens se sentiraient bien dedans. Avec un feu de cheminée, un chien, et des flocons de neige par la fenêtre. Du café dans une jolie tasse et le dernier roman de John Fosse. Qui voudrait d’une demeure délabrée qui prend le froid en hiver ? La photo est belle, dedans, la vie s’en est allée. Qui voudrait des romans tristes ? Des romans avec plein de morts ? Des romans de guerre alors que c’est la guerre tout le temps ? Des romans d’horreur alors que c’est l’horreur tout le temps ? Qui voudrait ça ? On dit des journaux, mais les livres aussi, ça se vautre dans le sang. Tromperies, mensonges, meurtres, tragédies. Perte, souffrance, fin du monde, manuels de survie, zombis. Les gens disent merde, c’était bien, quel écrivain ! Les gens lisent… Les gens disent… Quel talent ! Et les têtes roulent dans le caniveau, les pauvres têtes !
Anyway, je suis monté dans ma bagnole, il était 5 heures du matin, et après 6 mois de grève, j’ai repris la route des studios de cinéma au son d’Hank Mobley. Fauché comme les blés. Endetté jusqu’au cou comme un pays riche. Je lisais l’aut’jour que même le milieu de la pornographie est aujourd’hui saturé. Là aussi, comme en musique, comme en littérature, le fameux top 1% rafle tous les gains. Il y a des nichons à 5 millions de dollars et des nichons à 5 dollars… Va savoir… On a déchargé les camions, reconstruit les décors, chambre, salle de bain, bunker, cuisine, bureau, et j’ai soudain réalisé que je ne me sentais pas si mal, que je me sentais, pour tout dire « cool as a cucumber » que je ne m’étais pas senti aussi bien depuis, depuis… 6 mois. Quand le soleil est tombé, que je suis remonté dans ma caisse direction la maison, je me suis demandé si j’étais vraiment un écrivain ? Du moins, je me suis posé la question de la souffrance et de l’écriture, du mal-être et de la poésie, du jazz et de la pornographie, de la musique classique, de Beethoven, j’ai écouté Beethoven, je roulais à 100 à l’heure, j’avais un millier de doutes dans la lumière des phares, l’art, sa fonction, sommes-nous entertainment ? Au-delà de toutes les prétentions, ne sommes-nous pas seulement ça ? Un oubli dans un après-midi. Un fauteuil. Quelques violons. Une manière de passer le temps. Un biffeton de 20 balles à la librairie. Un luxe d’autrefois. Une glace italienne démodée. Une bourgeoisie de salon, la délicatesse du clitoris, le coup de pinceau de Bézu la Frite sur l’actu de la semaine, le bon mot du Maréchal Pétain, Marine la truie, et merde !
Ensuite, on est samedi, il pleut, et je dis à mon fils allons voir « Godzilla Minus One » au ciné, mais c’est un rebelle à grande gueule, il ne perd pas son temps avec ce genre de film, et j’y vais seul sous la pluie, un écrivain sous la pluie, un poète sous la pluie, et me voilà excité comme une pucelle à l’idée du nouveau Godzilla x Kong, ça sortira le 12 avril 2024, et moi j’aime ça les films de monstres, j’aime ça, j’aime ça, sous la pluie, quand la bête s’effondre, je pleure à chaque fois, boom boom, boom boom, et la bête se relève, vénère, elle enfle, force nucléaire, et tout pète, tout explose, et c’est beau, nom de dieu !
Dans ma bagnole de nouveau, au son des Revolting Cocks, peut-être bien que je ne suis pas un écrivain, et peut-être bien aussi que j’en ai plus rien à foutre, les clochards célestes sont morts, longue route à George R.R. Martin, je m’arrête au supermarché, je m’achète une bouteille de vin et un pack de 12 Miller Light, I feel good, I feel really good, c’était le meilleur Godzilla de ma vie !