Publié : 10 octobre 2023
Mise à jour : 10 octobre 2023 à 22h31
Sébastien Ayreault, romancier et poète français, vit avec sa famille à Atlanta depuis 2005. L’artiste travaille comme bon à tout faire dans le cinéma depuis 2008. Pêle-mêle, chaque mois (et non plus tous les quinze jours), il nous jettera ses ressentis, ses observations, ses joies mais aussi ses déceptions du rêve américain. Il offrira sa vision brutale de l’existence aux États-Unis.
À lui tout seul, il fout un bordel pas possible. Je veux parler du faucon dans mon jardin. J’ai des oiseaux bleus, des oiseaux rouges, des oiseaux gris avec un bec orange, une famille de corbeaux, un raton laveur, des lapins, une bonne vingtaine d’écureuils, et tout le monde se tient tranquille, ils viennent le matin bouffer des Raw Peanuts autour du foyer, ça cause gentiment, et soudain, le voilà qui descend du ciel à vive allure en poussant des cris de chouette, un vrai chaos, sauve qui peut, ça court, ça vole, je lui dis mais nom de Dieu… Il me regarde du haut de sa branche. Peut-être bien qu’il voudrait que je lui achète un steak, quelque chose de saignant. Les corbeaux s’organisent. Ils lancent une première attaque. Les écureuils en profitent pour revenir manger des peanuts, les yeux dans tous les sens, comme des billes aux aguets. Ils s’agrippent dans l’air, ils tournoient, seconde attaque, un corbeau au-dessus, un corbeau au-dessous, le faucon au milieu, des plumes dans les branches, et le voilà qui prend la fuite, vaincu, et toujours en poussant des cris de chouette. Il reviendra demain. Il n’est pas du genre à s’avouer vaincu, il est né comme ça, carnivore.
J’en étais là dans mes réflexions quand mon beau-père a ouvert la porte du jardin : « On y va ou pas ? » On a chargé le coffre avec les cannes à pêches et la glacière et on a roulé direction le mini-lac, gauche, droite, droite, là-bas au bas de la pente. Avant de descendre de la bagnole, il m’a dit : « Ce soir, on regarde Fox News » Je ne me suis pas démonté : « Okay, mais tu paies le dîner » Deal. On s’est serré la main là-dessus. Je n’allais pas me bouffer de la propagande de droite pour du beurre… Et finalement si, contre un plat de crevettes, deux pinces de crabes, et une portion de frites.
Sur mon téléphone, je lui montre des courbes de température, il me répond « C’est naturel, bien naturel » Je lui montre des photos du pôle Nord, qui rétrécit d’année en année, il me répond sans hésiter « Ils t’ont vraiment empoisonné le cerveau ! » Je lui demande si Dieu existe, il me dit : « Attention, pas d’insulte ! » Ensuite je prononce ces mots : « Trump a été inculpé de viol il y a quelques mois. Enfin, techniquement, pas vraiment. Dans l’État de New-York, les doigts ne comptent pas… Donc il a été inculpé d’assaut sexuel ou un truc du genre… » Il s’esclaffe de rire : « Je t’aime bien, tu sais que je t’aime bien, t’es un bon mec, mais tu lis trop de conneries. Si ça continue, ils vont l’accuser d’avoir tué le Christ ! » Je range mon téléphone au fond de ma poche et je relance ma ligne qui atterrit au milieu du mini-lac « Qu’est-ce que tu imagines prendre de si loin ? » Dans son dernier entretien télévisé l’Artichaut a déclaré que Joe allait nous entraîner vers la DEUXIEME guerre mondiale, et aussi, qu’en 2016, il avait battu Obama. Les gens de gauche sont tombés de leur chaise, les gens de droite ont applaudi. La journaliste n’a pas corrigé, elle a continué son interview sans broncher… Sans oublier sa déclaration comme quoi, quand il était au pouvoir, il nous aurait évité de peu une guerre nucléaire avec la Corée du Nord. Maintenant, y’ a tout un tas de people sur Twitter XYZ qui se demandent si la deuxième guerre a vraiment existé et si par hasard, le Barak, il n’aurait pas essayé de se présenter une troisième fois. Non, non, non, ce n’est pas facile tous les jours l’Amérique. Les moulins à vent tuent les baleines, bah voyons ! Je regarde mon beau-père, je sors une bière de la glacière, je décapsule, et je lui dis : « On m’a raconté que Marylin Monroe était venue flotter sur ce mini-lac en juillet 57 et que sa petite culotte… C’est ce que j’espère repêcher, sa petite culotte » Il me tend un doigt d’honneur, on se marre, rien ne mord.
Sur le chemin du retour, on n’écoute pas Elvis Presley parce qu’il le déteste mais Tina Turner parce qu’il l’adore. Pas un chat dans le jardin, pas un mouvement, silence, aucun signe de vie, le faucon est sur sa branche et règne en maître sur son territoire, dans le soleil qui s’effondre, rouge dans le bleu, une délicieuse odeur de fruits de mer venue de la cuisine.
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