Publié : 5 septembre 2023
Mise à jour : 10 mars 2024 à 21h13
Sébastien Ayreault, romancier et poète français, vit avec sa famille à Atlanta depuis 2005. L’artiste travaille comme bon à tout faire dans le cinéma depuis 2008. Pêle-mêle, tous les 15 jours, il nous jettera ses ressentis, ses observations, ses joies mais aussi ses déceptions du rêve américain. Il offrira sa vision brutale de l’existence aux États-Unis.
J’ai roulé jusqu’au McDo, j’avais assez de points pour un cheeseburger, des frites, un small coc, et une moitié de pomme. Hollywood est en grève depuis le 2 mai 2023. Nous voilà fin août. Pas de boulot. Sinon des petits. Aucune aide de nulle part. Démerdez-vous. Je me suis garé sous un arbre, à l’ombre, j’ai coupé le moteur un instant, mangé en écoutant Billy Nomate, puis mon téléphoné a bipé, et je suis reparti pour une nouvelle livraison. J’apporte de la bouffe aux gens. Uber Eat. Entre 11 heures et 3 heures de l’après-midi, je sillonne la banlieue d’Atlanta dans mon bolide, deux sandwichs, trois cafés, un plat de spaghettis sur le siège du mort. Ça paie les factures, à peine, c’est sur le fil du rasoir, et plus le prix de l’essence grimpe, et moins je m’en glisse dans les poches. À 3 h 30, je vais chercher mon fils au lycée, on rentre, on s’installe devant un match de Baseball, il me demande : « Quand vas-tu retourner bosser dans les studios de cinéma ? » La saison de football va bientôt démarrer. Il aimerait bien des tickets pour le stade, une nouvelle paire de baskets, un jean, une nouvelle manette pour sa PlayStation.
Les milliardaires vont nous foutre sur la paille. Les milliardaires veulent nous voir à genoux, mendiants. C’est fou de voir ça de ses yeux nus. Les regarder nous regarder nous noyer. On se croirait dans un roman de Victor Hugo. Le patron de Netflix, le patron de Disney, le patron de WarnerBros, le patron d’Amazon… Leur 30 millions de dollars et plus de salaire annuel, leur refus catégorique de partager les profits tandis qu’ils montent dans leur fusée, direction la lune. Indifférents, glacials, sans remord. Accepte ce contrat de minable ou crève. N’imaginez surtout pas que les politiques vont bouger le petit doigt : les fonds de soutien pour leur campagne ne poussent pas dans les arbres à noix. Et puis ils sont bien trop occupés à se demander qui est blanc ou noir, gay ou hétéro, catholique ou athée, et si par hasard le changement climatique ça ne serait pas du bidon. Un méchant scientifique avec des idées communistes derrière la tête. Parce qu’on en est là. Que le climat, ça serait de gauche, et Dieu le père, à droite. Tellement de conneries !
Je comprends le combat des scénaristes, des acteurs, même si l’angoisse au réveil me prend aux tripes, même si au bout de cette route, je pourrais bien tout perdre, tout vendre, et repartir de zéro je ne sais où, à 47 ans et des brouettes, un rien lessivé, passablement écœuré. Le problème d’Hollywood, c’est que le public ne voit que le tapis rouge, la croisette, Saint Tropez. Personne ne comprend vraiment que l’écrivain Maggie Cannan, pourtant nominée aux Emmy, en est toujours à vendre des fringues chez Madewell ou que celui-ci, malgré les milliards de minutes vues sur Netflix, travaille toujours de jour à McDo. On y revient. Comme après une terrible gueule de bois. Tous les chemins mènent à McDo. Matin, midi, et soir. Accumuler les points : Cheeseburger, frites, coc, et moitié de pomme.
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