Publié : 10 novembre 2023
Mise à jour : 10 novembre 2023 à 13h01
Sébastien Ayreault, romancier et poète français, vit avec sa famille à Atlanta depuis 2005. L’artiste travaille comme bon à tout faire dans le cinéma depuis 2008. Pêle-mêle, chaque mois, il nous jettera ses ressentis, ses observations, ses joies mais aussi ses déceptions du rêve américain. Il offrira sa vision brutale de l’existence aux États-Unis.
Après 6 mois de grève, tu n’as même plus envie de sortir de ton lit, tu n’as même plus envie de vider le lave-vaisselle, t’ouvres le journal, tu lis les gros titres, et ça donne : la guerre est prophétiquement signifiante, un garde de prison avoue ses fautes sexuelles, les citrouilles d’Halloween secouées par les grandes chaleurs et le manque d’eau, pourquoi Madona, Britney Spears et Taylor Swift misent sur la nostalgie, Matthew Perry m’a emmené voir les Alcooliques Anonymes, Rubiales (le fou du baiser) interdit de football pour trois ans. Après six mois de grève, tu lances ton téléphone (où le journal se trouve) à travers le salon, tu sors pieds nus dans la rue, tu jettes un œil au ciel immense, tu as envie d’exploser de rire, de crier de rire, mais tu n’y arrives pas, tu montes dans ta bagnole, tu écoutes une ou deux chansons, tu ressors de ta bagnole, tu t’assois à la table de la cuisine, et tu écris une chronique pour L’Éponge. Par les fenêtres, tu regardes les feuilles d’automne tomber façon confettis (seuls les arbres se dénudent en hiver) ces deux zigotos de ratons laveurs franchir le jardin en courant, tu leur jettes des croquettes, tu ne devrais pas, et puis tu te dis que ce n’est pas comme si cette vie avait un sens quelconque, qu’on serait même plutôt dans un non-sens quelconque, les dinosaures ont régné en maître durant 150 millions d’années, et il aura suffi d’une seule « bullet » venue du fin fond de l’espace pour les éradiquer en moins de 24 heures de la surface de notre mère la Terre. Ces deux chiffres côte à côte sont redoutables : 150 millions d’années/24 heures. Pouf ! Plus un son. Quelques oiseaux, rescapés, indifférents, tournoient dans l’azur… Quelques créatures dociles qui somnolaient au fond d’une grotte, à l’abri des prédateurs…
6 mois de grève… Personne ne fera les comptes. De ceux qui ont perdu leur maison, de ceux qui ont fini en taule et/ou en HP, de ceux qui se sont suicidés, de ceux qui n’auraient pas dû mourir dans cet accident de voiture, de ceux qui sont retombés dans l’alcool, dans la drogue, de ceux qui ont divorcé, des familles brisées… 6 mois de grève… Et qu’aura-t-on appris ? Que l’art est une question baveuse, que les studios n’ont qu’une ambition, se débarrasser des scénaristes et des acteurs, se débarrasser des décors construits à coups de marteau, de clous, et de pointes, se débarrasser de l’humain, et qu’il ne reste, à la fin, dans quelques années, que des « super-computers » capables de générer du contenu en milliards de pixels. Abreuver les masses et que le dollar coule à flots. Ceci n’est pas une fiction sortie d’un cerveau malade. Ceci est le nerf même de cette grève qui n’en finit pas.
100 millions d’années
Et un météore
Pour remettre les compteurs à zéro. Au ciel, les faucons épousent les courants d’air chaud, les courants d’air froid. Inutiles et majestueux. Sans autre ambition que de se reproduire et d’exister le temps que ça dure. Personne ne pleure. Seuls les plus forts survivent, les chanceux aussi. Mes 2 ratons laveurs, ils étaient 3 au début. Calenché dans le buisson, poison. Adios, raton ! Par la vitre de ma bagnole, où je suis de retour pour écouter le nouvel album de Chris Stapleton, je regarde les mecs sur le bord de la route. Je regarde les mecs découper du béton à la scie circulaire. D’ici 10 ans, ils auront les os broyés, le dos et les genoux en compote, les jointures lessivées, les poumons gris de poussière. Tout ça pour se payer un toit, une caisse, et à bouffer. Un abonnement Télé/Phone/Internet. La plage pour 7 jours en été. Les docteurs les gaveront d’antidouleurs. Avec une ou deux bières, on oublie tout. Dans le canapé, devant leurs écrans… Télé/Phone/Internet…
4,543 billions d’années pour en arriver là.